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laFAP est auditionnée par le Parlement de la FWB

La commission culture du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles organise des auditions du secteur culturel dans le but d’entendre les difficultés des différents domaines, et nous l’espérons, y trouver remède. Le 31 mars, laFAP a été auditionnée. Les auditions sont publiques, enregistrées et retransmises. Vous pouvez regarder cette commission ci dessous. Le texte de l’intervention faite au nom de laFAp, des questions adressées par les parlementaires et la réponse à ces questions sont retranscrits ci-dessous.

1h38min30sec

Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les attaché.e.s et conseiller.ère.s,

Je vous remercie pour l’invitation faite à la Fédération des Arts plastiques de venir vous apporter son point de vue sur la situation que nous subissons.

Je suis artiste plasticien et enseignant à l’Académie des Beaux Arts de Bruxelles. A titre personnel, j’ai beaucoup de chance. Je n’ai pas subi la crise sanitaire comme la catastrophe qu’elle a été pour beaucoup d’autres artistes. En tant qu’enseignant, je suis protégé. Et je suis au courant qu’il s’agit d’un privilège. C’est d’ailleurs ce sentiment de privilège qui m’a poussé à m’investir dans la création de la Fédération des arts plastiques. C’est au nom de cette Fédération que je représente ici que je m’adresse à vous.

Lorsque la pandémie est arrivée et que le confinement a été décrété, nous avons vu à quel point une précarité qui semblait presque assumée par des amis artistes et curateurs, qui semblait presque le prix qu’ils et elles étaient prêts à payer pour leur liberté, était en réalité l’exploitation des plus fragiles d’entre nous, les précipitant dans la misère la plus noire.

C’est dans le cadre de l’effondrement de la situation économique et sociale des acteurs et actrices de l’écosystème des arts plastiques résultant du confinement que laFAP s’est construite, à partir d’un simple groupe FB créé en mai 2020, qui a rapidement pris de l’ampleur, confirmant la nécessité de nous fédérer. (Nous étions 2000 en septembre 2020, aujourd’hui nous sommes 3500).

Nous avions vu que les Gouvernements, conscients des drames sociaux qui se préparaient avaient inventés des mesures de compensation aux effets du confinement. Mais nous nous rendions compte que les aides destinées aux artistes ne parvenaient pas à celles et ceux dont la pratique est située dans le champ des arts plastiques. Puisqu’il n’y avait personne pour les représenter et donc les défendre collectivement, nous avons d’abord pensé qu’ils avaient été oubliés. Alors, dès juillet 2020, nous nous sommes constitués officellement en fédération.

Mais ça n’a pas changé grand-chose. On nous a expliqué que la raison pour laquelle les aides ne parvenaient pas aux artistes plasticiens et plasticiennes en ayant besoin, reposait sur l’absence de cadastre. Et on a pris des mesures pour que ce cadastre se mette en place. Mais d’une part ceci ne répondait pas à l’urgence de la situation et d’autre part ce cadastre posera et pose déjà de toute façon le problème de son périmètre.

Alors, avec nos membres, nous avons mis au point un système permettant d’identifier les créatrices et les créateurs ayant subi un préjudice à cause de l’annulation de leur exposition ou manifestation résultant de la crise sanitaire. En décembre 2020, nous l’avons présenté au Cabinet de Madame Linard. Six mois plus tard, on nous a répondu que notre système était trop compliqué, et qu’il avait des effets indésirables. Mais on ne nous a pas proposé d’y remédier. C’est dommage parce que, il s’agissait d’une méthode reposant sur certains paramètres objectivables, aboutissant à un calcul permettant d’aider les artistes d’une manière équitable, chacun étant soumis à la même règle.

Nous avons compris que le problème de l’écosystème des arts plastiques était plus profond. Il est lié, selon nous, à une vieille habitude qui a la vie dure : l’absence de rémunération des artistes plasticiens lors d’exposition. Elle n’est sans doute pas la seule, mais c’est la cause première de la précarité : faire travailler les gens sans les rémunérer.

Le but de cette audition, si nous avons bien compris, est de prendre le pouls du secteur culturel, et plus particulièrement, pour moi, celui des arts plastiques, et savoir si les mesures qui ont été prises ont atteint leur cible. J’ai déjà dit que les mesures d’urgences de soutien aux artistes n’ont pas atteint leur cible. Vous avez entendu Emilienne Tempels, il y a quelques jours, ici-même, en expliquant le fonds sparadra, cette solidarité mise en place par l’Union des des artistes grâce à des dons privés, dire que les plasticiens étaient les plus précarisés.

Evaluer les propositions destinées à relancer la culture n’est pas simple : le tout récent soutien aux tournées culturelles prévoit la rémunération des artistes, ce qui est magnifique, mais le principe des tournées n’est pas adapté aux réalités des arts plastiques. Un futur pour la culture a effectivement permis à certaines et certains, s’inscrivant dans cette mesure, de développer un projet artistique. Mais notre connaissance repose sur les artistes qui gravitent autour de notre fédération. Elle se limite à notre périmètre, forcément restreint.

Alors, nous avons pensé qu’il serait préférable de partager avec vous un outil d’évaluation des politiques culturelles qui embrasse le secteur de manière plus générale, en mettant l’accent sur les droits sociaux.

Car ce que la crise a révélé, c’est l’absence de protection sociale de trop nombreux artistes. Ils et elles vivent dans un no man’s land social, reposant sur une économie informelle, extrêmement fragile, qui les oblige tôt ou tard a développer une autre activité, rémunérée celle-ci, mais forcément chronophage, qui, souvent les conduit à abandonner leur travail artistique. En fait actuellement, l’artiste choisit entre son travail artistique et la protection sociale.

Les traités de l’Organisation mondiale du commerce considèrent que la culture est une exception aux lois du marché et de la libre concurrence. Ceci permet que les Etats soutiennent et promeuvent leurs artistes, porteurs de leurs diversités culturelles.

Il a donc fallu, en regard de cette sortie des lois du marché pour intérêt public, trouver une solution à la situation de celles et ceux qui font métier de produire l’art. Le statut de l’artiste est une réponse de l’État à ce problème : sorti du marché, mais non fonctionnaire, il leur permet de bénéficier d’une protection sociale.

Mais qui y a accès et comment ?

Savez-vous que 65 % des étudiants qui s’engagent dans des études supérieures artistiques s’inscrivent dans les filières d’arts plastiques. Combien, parmi les personnes qui obtiennent le statut exercent-elles leur art dans ce domaine ? D’après les chiffres d’une étude universitaire flamande (et je rappelle que le statut est fédéral) moins de 15 %.

Pourquoi sont-ils si peu ? Parce que depuis des années, les politiques culturelles en arts plastiques n’ont pas tenu compte de l’évolution des pratiques. On a continué à faire comme si le but premier des artistes plasticien.ne.s était de vendre des œuvres a accrocher aux murs de ceux qui ont les moyens. Alors que les pratiques ont évolué vers des propositions plastiques de type installation, vidéo, narration, documents, arts sonores, qui sont souvent aux antipodes de ce que l’on pourrait accrocher au mur de son intérieur. Et ce sont justement ces pratiques qui sont essentiellement promues dans les lieux subventionnés.

Nous voulions un indicateur permettant d’évaluer la situation, je pense qu’en voilà déjà un qui est trouvé : la répartition selon les disciplines des artistes bénéficiant du statut s’approche-t-elle de la répartition des étudiant.e.s dans les EsA en fonction de ces mêmes disciplines ?

Augmenter la dotation d’un opérateur culturel est certainement une bonne idée, mais à qui va cette augmentation ? Dans les arts vivants, les conventions stipulent qu’un pourcentage de la subvention doit aller à l’emploi artiste, doit servir à rémunérer les artistes (30 à 70% selon les cas). Mais les opérateurs des arts plastiques ne sont pas soumis à pareille obligation. Madame la Ministre explique qu’elle a demandé aux opérateurs d’arts plastiques de prévoir une rémunération pour les artistes. On l’en remercie. Mais il n’y a pas de chiffre, pas de pourcentage, pas même d’échelle de grandeur. Si l’opérateur prévoit 500 euros comme rémunération pour une exposition,qui a pris un an de travail pour être réalisé, il a rempli son contrat. Mais comment l’artiste remplit-il son frigo ? Comment vit-il avec cette somme ? Comment paye-t-il sont atelier ? Son chauffage ? Son logement ? Sa nourriture ?

A la FAP, nous pensons qu’il y a une urgence qui urge plus que toutes les autres : celle de la rémunération des plasticiens, des plasticiennes, des curateurs et des curatrices.

Nous constatons en effet que si les artistes plasticien.ne.s sont majoritairement exclu.e.s de la protection sociale telle qu’elle s’est construite au bénéfice d’autres artistes c’est principalement à cause de l’absence de rémunération structurelle lors de la monstration de leur travail. Il est donc essentiel et urgent, dans le cadre des discussion en cours sur le « statut de l’artiste » que la FWB, en tant que pouvoir subventionnant, veille à l’équité de traitement des travailleurs et travailleuses de la culture et mette en oeuvre un dispositif de rémunération dans le secteur des arts plastiques

Après avoir analysé différents modèles déjà d’application ailleurs, un document fixant les principales balises de cette future grille a été rédigé collectivement et un tableau calculateur des droits de monstration a été établi.

Cette grille de rémunération, que nous diffusons depuis février, nous demandons qu’elle ouvre un droit pour les artistes, qu’elle soit d’application dans tous les lieux subventionnés qui ont au moins un équivalent temps plein (car il faut laisser les possibilités de dynamismes des microstructures fonctionnant avec très peu de moyens.)

Nous demandons que l’administration calcule le coût de l’application de cette grille afin d’éclairer vos travaux. Et si son application pose un problème qu’on essaye de lui trouver solution plutôt que de se servir de la difficulté pour en faire une impossibilité.

Nous voudrions que tous ensemble nous reconnaissions qu’un artiste plasticien, une artiste plasticienne, un curateur, une curatrice, qui travaille, a droit à une sécurité sociale, que pour avoir droit à cette sécurité sociale, il ou elle doit cotiser, que ces cotisations doivent faire partie de sa rémunération lorsqu’il ou elle rend son travail public au bénéfice des institutions et des citoyens, et enfin, que la hauteur de cette rémunération doit être proportionnelle à l’obtention de ce statut.

Je vous remercie de votre attention.

Question de Mme Fadila Laanan (PS)

Monsieur Goosse, la juste rémunération est une question fondamentale: tout travail mérite salaire. Vous avez évoqué la grille réalisée par la FAP. Avez-vous des contacts avec le cabinet de la ministre? D’après vous, la ministre de la Culture a-t-elle la volonté de se saisir de la question et d’être proactive dans ce dossier? Quel bilan les artistes plasticiens tirent-ils des mesures mises en œuvre par la ministre Linard, notamment concernant les aides à la création, les obligations de rémunération prévues dans les conventions depuis 2021 ou encore l’appel à projets «Un futur pour la culture»? Comment avez-vous perçu les réponses apportées par la ministre?

Question M. Jori Dupont (PTB)

Monsieur Goosse, vous avez expliqué – et je comprends un peu cette problématique pour avoir été étudiant en arts plastiques à l’ESA Saint-Luc Liège – que les artistes plasticiens, en raison des spécificités de ce secteur, avaient subi la crise de plein fouet. Ont-ils reçu un soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles?

J’ai cru comprendre que la création de cette grille des rémunérations aurait permis de ne pas accentuer la précarité des artistes plasticiens. Comment expliquer que, malgré leur nombre, ils soient finalement si peu considérés par les pouvoirs publics? La création d’une fédération professionnelle a-t-elle changé quelque chose?

Question de M. Charles Gardier (MR)

En ce qui concerne les arts plastiques, il me semble qu’il s’agit d’un sujet extrêmement important qui a longtemps été oublié. Les choses ont changé et je m’en réjouis. Que pensez-vous de la création de la FAP? En outre, d’autres fédérations ont vu le jour et il me semble donc que nous accordons désormais davantage d’importance au secteur de la culture et aux difficultés spécifiques que rencontrent ses opérateurs depuis la crise de la Covid‑19. La situation évolue-t-elle favorablement selon vous? Les informations que vous recevez des différents pouvoirs indiquent-elles que nous sommes sur la bonne voie? Enfin, avez-vous des suggestions pour faire revenir le public dans les salles de spectacle? En effet, le monde de la culture a énormément souffert du statut de «vecteur de la pandémie» qu’on lui a injustement attribué.

Question de Mme Alda Greoli (Les Engagés)

En ce qui concerne les plasticiens, je rejoins les questions posées par MM. Gardier, Dispa et Mme Laanan. Certes, l’administration est à l’écoute des plasticiens, mais de nombreuses interrogations subsistent. J’aimerais encore vous entendre à ce propos.

Permettez-moi aussi de rappeler l’objectif que poursuivait la création du CSC et des fédérations. Je suis assez bien placée pour faire l’exégèse du décret. S’il prévoit effectivement la création de fédérations et leur reconnaissance, il ne prévoit pas la reconnaissance d’une nouvelle fédération à chaque fois que deux personnes s’associent. Cependant, le décret prévoit que les fédérations doivent être reconnues à partir du moment où elles représentent une réelle parole collective permettant un vrai rapport de force avec le monde politique lors des concertations et des négociations.

Monsieur Goosse, votre fédération représente bien les plasticiens. Cela ne fait nul doute. De ce fait, j’aimerais vous entendre. L’importance de votre fédération est-elle reconnue? A-t-elle son mot à dire dans ce qui se passe aujourd’hui au niveau de la relance de la culture?

Comme M. Gardier, je constate la difficulté du monde de la culture à retrouver son public, non seulement en France, mais aussi en Belgique francophone. En effet, les salles de spectacle, les salles d’exposition et les musées ont perdu 30 à 40 % de leurs visiteurs. Un travail doit être mené à ce sujet. Avez-vous des pistes à nous suggérer pour faire revenir les personnes dans les lieux de culture?

Question de Sadik Koksal (Défi)

Monsieur Goose, la grille des rémunérations pour assurer une rétribution décente constitue une très belle initiative. Dans le secteur subventionné, comme les centres culturels, nous devrions déjà commencer par appliquer une certaine règle puis l’étendre au secteur privé. Le secteur culturel subventionné est à la base d’un mouvement qui devrait évoluer dans cette direction. D’autres se sont exprimés, mais ce n’est pas parce qu’on ne s’exprime pas qu’on ne travaille pas. Il ne faut pas oublier tout le travail effectué en amont, avant l’exposition qui est la finalité.

Question de M. Matteo Segers (Ecolo)

Je regrette que l’imposition des droits de monstration, qui figurait déjà dans le rapport de 2005 des États généraux de la Culture et qui était prévue pour 2007, n’a en fait jamais été mise en œuvre. La question des artistes plasticiens a déjà été évoquée dans le cadre de l’opération «Bouger les lignes». Mais je n’ai retrouvé nulle trace à ce sujet dans les conclusions de ce rapport.

Monsieur Goosse, nous sommes à l’écoute du secteur; les députés qui siégeaient dans ce Parlement auparavant l’ont sans doute été aussi. Dès lors, qu’est-ce qui manque pour instaurer ce droit de monstration? Les opérateurs d’arts plastiques se disent prêts, mais disent qu’il manque la grille barémique. Quel pourrait être le déclic? Il faut une intervention aux différents niveaux de pouvoir. Quand un pouvoir public subventionne un opérateur, il devrait pouvoir imposer un droit de monstration. Je rejoins donc ce que vous disiez tantôt, Monsieur Bonami: il faut une attitude globalisée. Si la Fédération fait levier, peut-être pourra-t-elle amener les Régions et l’État fédéral à l’imposer.

Enfin, qu’en est-il des plasticiens dans le Nord du pays? Y a-t-il moyen de faire bouger les lignes?

Réponse M. Bruno Goosse. – La FAP a en effet été créée sur la base du drame provoqué par cette crise sanitaire. C’est sans doute grâce au décret « nouvelle gouvernance culturelle » qu’elle est apparue depuis dans le paysage culturel sans être pour autant, à ce jour, officiellement reconnue. La reconnaissance est en effet liée à un appel lancé par le gouvernement. Cet appel a eu lieu avant à la naissance de la FAP. Par conséquent, celle-ci n’est pas reconnue et il faudrait un nouvel appel pour ce faire. Qu’implique le fait de ne pas être reconnu? Tout simplement, la FAP n’est pas représentée au sein de la chambre de concertation. Seul un dispositif permet à quelqu’un provenant d’un autre organisme de siéger aussi au nom de ce que représente la FAP, c’est-à-dire les arts plastiques, mais sans droit de vote.

Quels ont été les effets particuliers de la création de notre fédération? On m’a dit qu’il existait d’autres fédérations représentant les arts plastiques. Je ne les connais pas. Monsieur Gardier, si vous disposez de ce genre d’informations, je suis preneur. Nous connaissons certes BeCraft, mais il ne s’agit pas d’une nouvelle fédération, et elle concerne plutôt les métiers d’art, ce qui est tout de même très différent des problèmes rencontrés dans les arts plastiques tels que je vous en ai parlé. LaFAP est selon moi, la première fédération des arts plastiques, et ce qu’elle a permis c’est de produire une parole collective et je trouve ce fait extrêmement intéressant.

Ma double casquette me conduit à expliquer parfois à mes étudiants que, pour eux, je suis un véritable gâche-métier! En tant qu’enseignant, je dispose en effet d’un salaire et, dès lors, lorsque je montre mon travail dans une instoitution, je ne vais jamais négocier une rémunération. Ça n’a pas de sens pour moi et je serais surtout gêné d’en réclamer une. Pourtant, en ne le faisant pas, j’entretiens un système qui a pour résultat de ne pas payer les personnes concernées. Dans ce système, je constitue par conséquent un véritable problème. L’avantage de la FAP est précisément de dépasser ce point de vue individuel au profit d’une parole collective. Réclamer une rémunération avec laFAP, ce n’est plus pour moi, mais pour tout le monde. Toute la différence réside là: on parle de la constitution d’un droit général pour les artistes et non plus d’un échange contractuel personnel.

Pourquoi la question de la rémunération apparaît-elle seulement maintenant dans le secteur des arts plastiques? Il est exact que pendant longtemps, les artistes n’ont pas réclamé de rémunération. Il y a une dizaine d’années, lorsque nous introduisions auprès de la Fédération Wallonie-Bruxelles une demande de subvention pour un projet, le formulaire indiquait qu’il était interdit d’indiquer un montant de rémunération. Nous ne pouvions demander de l’argent que pour de la production, pour acheter des matériaux. La rétribution des artistes ne constituait même pas une question. Je suppose que cet état de fait est lié à la prégnance de l’image sociétale de l’artiste d’arts plastiques qui trouve ses sources dans la bohème du XIXe. Selon cette idée, l’artiste étant un génie en avance sur son temps, plus il en bave, meilleurs il est! Il s’agit du modèle de l’artiste romantique, un modèle qui continue à être véhiculé, avec l’idée que, de temps en temps, l’un ou l’autre réussira à vivre grassement de ses œuvres. Les médias, d’ailleurs, n’arrêtent pas de se faire l’écho de ventes de tableaux à des prix faramineux. Il ne s’agit pourtant que d’une valeur spéculative, qui a donc peu d’importance informationnelle. Mais cela laisse croire qu’il existe un rapport entre l’œuvre vendue très cher et la manière dont vit l’artiste qui l’a créée, alors qu’il n’y en a pas. C’est un vrai problème.

La Fédération nous amène à discuter entre artistes, ce qui nous permet de mieux comprendre comment les dispositifs fonctionnent. Nous trouvons alors plus normal de réclamer certaines choses qui nous semblent normales dans notre société : un accès à la protection sociale par exemple. Nous discutons aussi avec nos amis flamands. Nous nous entendons bien avec le State of Arts, dont nous partageons les revendications, mais pas tout à fait les solutions.

De temps en temps, on mélange notre grille avec celle des Flamands. Je trouve toutefois dommage que ces deux documents ne soient pas réellement comparés. De quoi s’agit-il en Flandre? D’énumérer toutes les tâches que font les artistes plasticiens et de les quantifier puis de les associer à une valeur monétaire. Cela aboutit à des montants gigantesques, puisqu’on tient compte de tout le travail qui est fait pour aboutir à une exposition. Évidemment, personne ne va payer cela, mais, du côté flamand, ils disent que c’est un outil de négociation. On remplit cette grille et, à partir de là, on négocie. L’artiste n’est pas pris dans un dispositif où il bénéficie d’un droit au moment de l’exposition; on lui donne un outil pour négocier. Or le rapport de force est toujours là. Et qu’est-ce qu’un artiste fort? C’est celui qui est fort… connu. Cela restera donc toujours problématique pour les autres. Ce système renforce les plus forts. Nous ne demandons pas cela. Notre grille propose un dispositif dans lequel le fait que l’on soit connu ou pas n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est la quantité de travail qui est investie. Elle est notamment liée à des surfaces; d’autres paramètres rentrent en ligne de compte. C’est une solution différente, qui ne déplaît pas aux Flamands. Ils ont simplement procédé autrement et ils ont abouti à une autre solution.

Quels sont les contacts avec la ministre de la Culture? Nous n’avons jamais été consultés en tant que fédération. On lit que «les fédérations ont été consultées», mais, en réalité, nous n’avons jamais été convoqués. Nous avons rencontré une fois la ministre au sujet de la première grille qui a été pensée pour répondre à l’urgence. Nous avons eu une discussion sur cette grille après que l’administration l’a évaluée. Je vous ai donné la teneur de la réponse: c’était un peu trop compliqué et il y avait des effets pervers.

Après cela, nous avons lu, mais plutôt dans la presse, qu’un autre défaut de notre grille était qu’elle privilégiait les expositions individuelles. Nous n’avons cependant jamais eu l’occasion d’en discuter et ne savons pas bien ce que cela veut dire. En effet, il y a bien une différence entre une exposition individuelle et une exposition collective. Si on met en évidence la quantité de travail et si celle-ci est liée à des surfaces d’exposition, on peut forcément déduire que, s’il y a deux artistes dans le même lieu, il y a deux fois moins de travail puisqu’il y a deux fois moins de surface. Dès lors, chaque artiste recevra la moitié. Cela me paraît extrêmement logique. Je ne vois pas quels seraient les avantages d’un autre système qui privilégierait les expositions collectives. Cela voudrait-il dire que, si on occupe le même espace à deux, on gagne plus d’argent? Mais en fonction de quoi? En fonction du fait qu’on fournit moins de travail? Je ne comprends pas très bien. Je veux bien en discuter, mais il faudrait qu’il y ait un lieu de discussion pour cela.

Ensuite, nous n’avons plus eu de nouvelles. Je viens d’entendre que M. Dispa a interpellé la ministre à ce sujet. Je me réjouis donc de lire son intervention, ainsi que les réponses. Nous sommes comme tous les citoyens. Nous nous informons et essayons de comprendre quelles sont les réponses de la Ministre aux problèmes sociétaux rencontrés en lisant les documents parlementaires.

Vous m’avez aussi demandé comment sont ressentis, dans le secteur des arts plastiques, les aides à la création, le soutien aux tournées et l’appel à projets «Un futur pour la culture». Pour certains artistes plasticiens qui ont pris part à ce dernier, cela a été utile, essentiellement pour mener un nouveau projet, ce qui faisait partie des objectifs visés. En revanche, le soutien aux tournées est beaucoup plus compliqué à mettre en œuvre. En effet, on ne voit pas très bien comment faire une tournée avec une exposition ou des œuvres d’arts plastiques.

Par ailleurs, le projet vient seulement d’être lancé, on ne connaît pas encore les résultats, on ne peut pas en dire grand-chose. Toutefois, lorsqu’un dispositif existe et a été pensé pour les arts de la scène, suffit-il de dire qu’il est dorénavant aussi ouvert aux arts plastiques pour qu’il soit efficace dans cette discipline? Cela peut éventuellement avoir un effet à la marge, mais cela ne va pas régler le problème principal. Nous partons de l’idée que celui-ci réside dans le fait que très peu d’artistes plasticiens ont accès au statut d’artiste. Cela ne correspond pas du tout à la population des gens qui s’inscrivent dans les écoles supérieures des arts. Les mesures que le Gouvernement de la FWB va prendre vont-elles rectifier ce problème? Quelles mesures faut-il prendre pour le régler? Il faut faire en sorte qu’il y ait une rémunération! Il s’agit du cœur du problème et c’est à cela qu’il faut essayer de répondre.

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