En décembre 2020 nous avons déposé au cabinet de la Ministre de la culture cette proposition qui envisage une méthode pour calculer une contrepartie financière aux annulations et reports liés aux fermetures des lieux de monstrations dus à la crise sanitaire. Le texte a été envoyé à l’Administration pour évaluation. On nous a dit qu’il était difficile à mettre en œuvre.
La première raison évoquée verbalement est que la proportionnalité à la surface du lieu d’exposition aboutissait dans certains cas à des aberrations. (Bien entendu ces aberrations peuvent être corrigées).
La seconde raison évoquée nous est parvenue par l’article du Soir du novembre 2021: on y lit que notre proposition privilégierait les expositions personnelles. Nous n’avons pas compris cette remarque puisque la proposition tient compte du nombre de personne pour un même lieux et une même durée de manière proportionnelle.
Ce dispositif peut, selon nous être appliqué en dehors de la situation post-covid.
Le monde de la culture s’est arrêté pendant des mois. Le monde des arts plastiques également. Les expositions ont été fermées ou annulées. Parfois on dit qu’elles ont été reportées. Mais une exposition reportée doit être considérée comme une exposition annulée. En effet, les lieux d’expositions ne seront pas plus nombreux l’année suivante.
Il manque un outil pour déterminer les pertes encourues par les acteurs et les actrices de l’écosystème des Arts Plastiques durant la crise sanitaire. C’est ce que le présent document se propose de faire.
Principe général : compenser ce qui n’a pas pu s’organiser à cause des mesures sanitaires.
Il faut donc d’une part d’identifier ce qui était programmé ou prévu et d’autre part trouver une méthode de calcul juste du montant du préjudice.
A. L’identification des événements annulés.
Il n’est pas toujours facile de démontrer qu’un événement était prévu et a été annulé. En effet, il est extrêmement rare qu’un événement d’arts plastiques fasse l’objet d’une convention ou d’un contrat. Le plus souvent il s’agit d’accord verbal.
Proposition
Nous proposons que l’acteur de l’écosystème des Arts Plastiques produise un document signé par l’opérateur/organisateur attestant qu’il envisageait de mettre sur pied l’événement avec tel.le.s artiste.s. Le document mentionnera en outre, les dates envisagées, le nombre d’artistes participants, la surface réservée à l’événement, le pourcentage d’œuvres originales prévues.
Ou à défaut, tout élément tangible démontrant qu’un opérateur culturel envisageait la mise sur pied d’un événement le concernant:
- une annonce dans une newsletter
- une publication sur un site web
- un mail de l’organisateur confirmant la tenue de l’événement
Dans ce cas, les informations nécessaires énumérées au paragraphe précédent seront données par la personne sollicitant l’aide
B. Montant du préjudice.
Principe : le montant du préjudice doit s’approcher autant que possible de la juste rémunération du travail accompli par l’artiste. Durant l’exposition, le lieu d’accueil exploite le travail de l’artiste qui a réalisé les œuvres. Nous appelons cette rémunération un “honoraire”.
Pour simplifier l’objectivation, nous évaluerons d’abord une situation simple et verrons comment l’implémenter dans des situations diverses.
Supposons 10 artistes invités à participer à une exposition selon une proposition curatoriale d’un centre d’art en mars 2020. La salle d’exposition du centre d’art a une surface de 200 m2. Les œuvres n’ont jamais été montrées, elles ont été produites en vue de l’exposition annulée.
Partant de l’hypothèse que le travail investi pour une exposition individuelle de 200 m² correspond à minimum 6 mois de travail à temps plein, soit une contre-valeur de 24 000 euros.
Nous proposons une participation équivalente à la moitié de cette somme soit 12 000 euros. (pourquoi pas 24 000 euros ? D’une part parce que dans certains cas les œuvres peuvent être vendues, d’autre part parce qu’elles peuvent être montrées ailleurs. Pourquoi pas moins que la moitié ? Parce que les opportunités précisées ci-avant sont rares.)
Dans l’exemple ci-dessus, 10 artistes étaient prévus. Les honoraires s’établissent donc à hauteur de 12000/10, soit 1200 euros par artiste.
C. Les indicateurs (variables à tenir en compte)
Aucun indicateur n’est valable de manière absolue. Il s’agit de choisir les indicateurs qui nous semblent les plus à même de produire le plus d’équité.
1. La surface d’exposition
C’est un peu la pierre angulaire du système. Il s’agit d’un indicateur classique, particulièrement adapté à des objets produits. Il présuppose qu’il existe des institutions et que ces institutions sont des lieux destinés à accueillir des publics pour leur faire rencontrer des œuvres. Il suppose également qu’il faut plus de temps pour réaliser des grandes pièces que des petites, ce qui n’est pas nécessairement toujours le cas. Le rapport entre la surface et les honoraires est un rapport proportionnel. (Un espace deux fois plus petit entraîne un honoraire deux fois moins élevé).
Les travaux vidéographiques semblent entrer difficilement dans ce calcul car on comprend mal que la dimension de la projection soit plus représentative du travail investi par l’artiste que la durée de la vidéo par exemple. Ces cas particuliers devront être affinés dans un second temps. Néanmoins, dans un premier temps, il nous a tout de même paru que le rapport à la surface du lieu restait, dans les faits, un critère acceptable car, l’artiste vidéaste dont le travail est montré dans des espaces d’arts plastiques se retrouve dans une situation d’occupation de l’espace similaire à d’autres artistes.
Il n’est pas adapté à certaines productions, notamment au travail performatif.
Un calcul distinct est proposé pour ce qui relève des pratiques performatives.
2. Le nombre d’artistes.
Cet indicateur est corrélé au précédent en termes de présupposé. Il permet d’adapter le calcul en fonction des situations variables rencontrées. Le rapport entre le nombre d’artiste et les honoraires est également proportionnel.
3. Le caractère d’exclusivité et de nouveauté.
Puisqu’il est question de rémunérer l’artiste pour son travail, il est nécessaire de tenir compte du caractère de nouveauté de l’oeuvre présentée. En effet, il ne serait pas juste que les honoraires de l’artiste soient identiques à la 1e monstration de son œuvre et à la 5e par exemple. Il est proposé de créer 3 catégories : 1ère monstration, 2e monstration, et au-delà de 2 monstrations.
Chaque catégorie se voit affectée d’un coefficient : une première monstration équivaut à un honoraire deux fois plus élevé qu’une seconde monstration, cette dernière étant elle-même deux fois plus élevée que la 3e.
Dans ce système, il s’agit en effet de proposer une rémunération correspondant au travail de l’artiste. Comme il a été dit plus haut, les honoraires de la première monstration d’une œuvre correspondent à la moitié de la rémunération représentant le travail théorique nécessaire. La raison évoquée était la possibilité de vendre son œuvre, ou de la montrer plusieurs fois.
Si l’oeuvre est montrée une seconde fois, les honoraires correspondent à la moitié des honoraires perçus pour une première monstration, soit au quart de la rémunération représentant le travail théorique nécessaire. Si l’oeuvre est montrée une troisième fois les honoraires correspondent au huitième de la rémunération représentant le travail théorique nécessaire, et il en sera ainsi pour chaque monstration.
Autrement dit, s’il n’y a pas vente, (ce qui est le cas le plus courant), pour se faire rembourser du travail investit, l’artiste doit trouver à montrer une œuvre 4 fois.
4. La durée
La durée de l’exposition intervient dans le calcul mais dans un rapport moins important. Il importe en effet de tenir compte de la durée d’immobilisation de l’oeuvre qui l’empêche d’être montrée ailleurs. Nous proposons de fixer un coefficient de la manière suivante. Jusque et y compris 4 semaines d’exposition, application d’un coefficient de 1. Entre 4 semaines et 20 semaines, application d’un coefficient multiplicateur de 1,2. Au delà de 20 semaines, application d’un coefficient multiplicateur de 1,4
D. Pratiques performatives
En ce qui concerne les pratiques de performance, le critère de la surface d’exposition est remplacé par l’importance de la performance. Une performance Nprésentée pour la première fois au public, seule, et annoncée en tant que telle (le public se déplace pour assister à la performance) est assimilée en terme d’honoraire à une exposition individuelle de 100 m² d’œuvres nouvelles durant 4 semaines. Une performance présentée dans le cadre d’une exposition collective et annoncée en tant que telle est soit assimilée en terme d’honoraire à l’équivalent des artistes plasticiens, soit à l’occupation d’une surface de 10 m².
Lorsqu’il était prévu que la performance soit activée plusieurs fois, chaque activation est rémunérée sous forme d’un cachet.
E. Frais de production
Lorsque les artistes dont l’exposition a été annulée pour cause de crise sanitaire ont engagé des frais de production et que ces derniers concernent une ou des œuvres spécifiquement conçue pour ce cadre, ils peuvent déclarer les pertes générées en les justifiant au moyens des pièces comptables probantes.
F. Quelques exemples
a. 10 artistes étaient sollicité.e.s pour une exposition annulée. Ils et elles devaient présenter des œuvres originales, en rapport avec la proposition curatoriale. La surface du lieu d’exposition est de 200 m².
L’exposition dure 3 semaines.
Les honoraires de chaque artiste sont de 1200 euros.
Variation sur le nombre d’artistes
b. 3 artistes étaient sollicité.e.s pour une exposition annulée. Ils et elles devaient présenter des œuvres originales, en rapport avec la proposition curatoriale. La surface du lieu d’exposition est de 200 m².
L’exposition dure 3 semaines.
Les honoraires de chaque artiste sont de 4000 euros.
Variation sur la surface
c. 3 artistes étaient sollicité.e.s pour une exposition annulée. Ils et elles devaient présenter des œuvres originales, en rapport avec la proposition curatoriale. La surface du lieu d’exposition est de 50 m².
L’exposition dure 3 semaines.
Les honoraires de chaque artiste sont de 1000 euros.
Variation de nouveauté
d. 3 artistes étaient sollicité.e.s pour une exposition annulée. Ils et elles devaient présenter des œuvres existantes déjà exposée une fois pour la moitié et 2 fois pour l’autre moitié. La surface du lieu d’exposition est de 200 m².
L’exposition dure 3 semaines.
Les honoraires de chaque artiste sont de 1000 euros.
Variation de durée
e : 10 artistes étaient sollicité.e.s pour une exposition annulée. Ils et elles devaient présenter des œuvres originales, en rapport avec la proposition curatoriale. La surface du lieu d’exposition est de 200 m².
L’exposition dure 4 mois.
Les honoraires de chaque artiste sont de 1440 euros.
f. 1 artiste était sollicité.e pour une exposition annulée. Il ou elle devait présenter des œuvres originales, en rapport avec la proposition curatoriale. La surface du lieu d’exposition est de 50 m².
L’exposition dure 3 semaines.
Les honoraires de l’artiste sont de 3000 euros.