Constat
Tout travail mérite salaire. Dans l’écosystème des arts plastiques certaines activités sont rémunérées et permettent une existence, d’autres activités ne sont actuellement pas rémunérées ou le sont en deçà de toute décence. Cette situation particulièrement inique touche principalement les artistes plasticien.ne.s, curateur.trice.s indépendant.e.s, et critiques.
Le problème que pose l’intermittence des rémunérations dans le secteur culturel en général trouve une réponse dans le dispositif nommé « statut d’artiste ». Or, faute de fixation de rémunérations proportionnelles au travail engagé lors de l’exposition publique de leur travail1, les plasticien.ne.s n’ont que très exceptionnellement accès à ce statut (moins de 10 % des bénéficiaires du statut d’artistes travaillent dans le secteur des arts plastiques alors que plus de 65 % des étudiants en Ecoles supérieures d’arts de la FWB étudient en arts plastiques).
Demande
LaFAP demande donc instamment au Gouvernement de la FWB la mise en place d’une grille de rémunération des expositions au bénéfice des artistes et curateur.trice.s qui serait d’application dans tous les lieux subventionnés par la FWB de manière contraignante dès que la structure d’accueil compte un employé.
Principe
Cette grille de rémunération doit permettre à un.e artiste qui travaille et rend régulièrement son travail public dans des lieux bénéficiant du soutien de la FWB de recevoir une rémunération proportionnelle à son travail et au moins suffisante pour lui permettre d’obtenir le « statut2 ».
L’artiste qui participe à 3 expositions publiques de son travail en 24 mois fait la preuve d’un travail régulier de qualité dont les fruits sont partagés publiquement, en échange de quoi il devrait bénéficier d’une rémunération qui lui permette d’accéder au « statut ».
Plusieurs mécanismes ont déjà été imaginés dans d’autres pays. Voir un rapide survol de ces mécanismes en annexe.
Analyse
- Dans tous les cas, les frais de production sont distincts de la rémunération.
- La rémunération distingue une somme liée à l’exposition même construite implicitement ou explicitement sur le modèle des droits d’auteur (droits de monstration) et une somme liée à la conception de l’exposition qui peut être soit un forfait, soit une quantification horaire.
- La médiation est rémunérée soit à l’heure, soit à la demi-journée, soit à la journée.
- Les textes fournis dans le cadre de l’exposition sont rémunérés au mot ou au feuillet.
- Le temps passé dans la structure pour superviser l’accrochage est rémunéré de manière distincte.
- Soit les montants de la rémunération sont fixes, soit ils dépendent des moyens de la structure, soit ils dépendent du nombre de visiteurs.
Notre proposition
2022-02-14-balises-charte-remunerationAnnexe: les exemples du Canada, de la Suisse et de la France
1. Canada
Au Canada, la rémunération des artistes repose sur le droit d’auteur3 qui concerne également l’exposition publique d’une œuvre (parfois appelé droit d’exposition ou de monstration) https://carfac-raav.ca/fr/ . Les grilles sont revues chaque année. Il s’agit de grilles minimales.
Interviennent dans le calcul des montants :
- la taille du diffuseur (budget de fonctionnement de l’institution);
- le rayonnement de la manifestation (internationale, nationale…);
- le type d’exposition (solo, rétrospective, collective, très petit lieu, œuvre unique…);
- la durée de l’exposition (si au-delà de 3 mois).
Exemple d’échelle : 15,884 $ pour une exposition individuelle internationale où l’artiste représente le Canada ; 4,051 $ pour une exposition individuelle dans une institution dont le budget de fonctionnement dépasse 1 million de dollars ; 431 dollars pour une œuvre unique ou un petit lieu.
Ces redevances ne concernent pas :
- les coûts liés à la production d’œuvres;
- les dépenses liées au déplacement et au logement des artistes, ou les indemnités journalières versées aux artistes afin de leur permettre d’assister à une visite de site, d’installer leurs œuvres, de donner une conférence ou un atelier, d’assister à une réception, etc. ;
- les frais liés à une présentation, une consultation, un jury, l’écriture, l’installation ou la préparation.
Pour ces derniers, voici le tarif minimal :
- présentation (conférence sur son travail), avis: 328 $ / demi-journée ; 579 $ / journée.
- Écriture (texte présentation expo): entre 0,5 et 1 $ / mot;
- Honoraires lié à la préparation4 : 208 $ / demi-journée ; 364 $ / journée;
- Honoraires lié à l’installation5 : 235 $ / demi-journée ; 468 $ / journée.
2. Suisse
En Suisse, un guide-honoraire des artistes a été réalisé par Visarte, une association représentant les artistes. Le modèle proposé consiste à proposer des honoraires d’expositions en fonction du lieu d’accueil : petits lieux sans subvention, 500 CHF ; lieux accueillant moins de 10,000 visiteurs an : 1,000 CHF ; jusque 50,000 visiteurs / an : 3,000 CHF ; au-delà de 5,000 visiteurs / an ; 5,000 CHF.
- Les performance, action, intervention sont rémunérée au moins 1,200 CHF / chaque;
- l’assistance au montage et au démontage, transport, emballage, etc. est rémunéré à l’heure au moins 60 CHF pour le travail ( si contrat indépendant) ; forfait journalier au moins 300 CHF (si contrat employé·e);
- le discours d’ouverture et présentation forfait au moins 500 CHF;
- table ronde, entretien d’artistes, service de médiation (par exemple, visite guidée) forfait au moins 300 CHF.
Par ailleurs, depuis janvier 2021, au niveau de la Confédération, est apparu l’obligation de rémunérer les artistes si une structure désire obtenir des subventions de l’Office fédéral de la culture (OFC) ou de la Fondation Pro Helvetia, les deux organes nationaux de financement culturel.
Depuis lors, musées et Visarte discutent des montants.
Ils sont tombés d’accord sur les montants d’honoraire lié à l’exposition proprement dite – de 500 à 5,000 francs suisses pour une exposition, mais il n’y a pas encore d’accord pour rémunérer «la conception, planification et réalisation des œuvres».
Autrement dit, le pouvoir subventionnant oblige les institutions à rémunérer les artistes si elles veulent continuer à bénéficier de subventions. Cette rémunération n’est pas encore établie aussi fermement qu’on le voit au Canada mais elle est discutée selon les deux approches que l’on trouve outre-Atlantique. La première est un forfait lié notamment à la taille de l’institution (sorte de droit de monstration canadien) ; la seconde est liée au travail de préparation, d’accrochage et de médiation, cette dernière s’évaluant en quantité d’heures de travail prestées.
3. France
En France, différentes initiatives ont vu le jour ces dernières années. Il s’agit d’études, comme par exemple celle, remarquable, de Marjorie Glas, La rémunération des artistes dans les structures de diffusion du secteur des arts visuels à Nantes ; il s’agit également de charte de bonnes pratiques qui sont rédigés par des associations d’artistes ou par des associations de structures de diffusion.
La charte économie solidaire de l’art
Elle est bien connue. Comme dans les autres cas précédemment vus, après avoir rappelé que toute production, exposition, diffusion ou publication d’une création donne lieu à une rémunération de l’auteur·e et que cette rémunération est distincte des frais de productions et de déplacement qui doivent être également pris en charge par la structure de diffusion, de même que la présence de l’artiste pour le montage et la médiation éventuelle, la charte économie solidaire ajoute la question de la rémunération des propositions conçues dans le but de répondre à des appels à projets.
Enfin la charte prévoit de déterminer le montant de la rémunération en fonction du budget et de l’ambition de chaque structure hôte. Les critères suivants sont pris en considération pour la négociation entre l’auteur·e et la structure hôte : notoriété, fréquentation, dotation générale et visibilité du lieu, nombre d’auteur·e·s invité·e·s, nombre et durée d’évènements produits annuellement. Plus l’évènement participe de manière importante à la programmation du lieu, plus il est attendu que la rémunération soit conséquente.
Charte des bonnes pratiques de l’AFDCAC
L’association française de développement des centres d’art con temporain a publié une charte des bonnes pratiques qui comprend un barème chiffré. Tous les centres d’art contemporain qui adhèrent à l’association appliquent cette charte (51 centres d’art contemporain français).
Cette charte prévoit des minima de rémunération pour les artistes :
- On y retrouve la distinction entre la conception de l’exposition (1,000 euros) et l’exposition proprement dite (1,000 euros pour une exposition personnelle) ; la réalisation d’une œuvre dans le cadre d’une exposition collective (500 euros);
- Les frais de production sont, bien entendu, distinct et en sus, de même que le transport des œuvres et des artistes, et l’hébergement de ces derniers.
- Les textes ou interventions artistique pour publication sont tarifés à hauteur de 120 euros / feuillet.
- Les actions de médiation pour 50 euros / heure.
- Enfin, dans ce système, les artistes reçoivent des per diem.
1 « de toutes les personnes impliquées dans une exposition, du personnel technique ou de gardiennage à la direction et aux commissaires, les artistes sont bien souvent les uniques protagonistes à ne percevoir aucun honoraire. Zéro. » (le Courrier du 20 mai 2021 Schellenberg, « pour argent comptant »)
2 Soit selon la note WITA : 9754,68 euros bruts sur 24 mois.
3 Les redevances concernant les expositions et les projections sont une compensation pour la présentation publique d’une œuvre. Le droit d’exposition s’applique uniquement lorsque l’œuvre d’art n’est pas présentée pour des fins de vente ou de location.
4 La préparation est le travail associé à la production d’une exposition par un artiste à l’extérieur des espaces d’exposition du diffuseur. La préparation peut comprendre les correspondances, les appels téléphoniques, la préparation de documents de soutien, la correction d’épreuves, l’encadrement, porter les changements nécessaires à une œuvre existante pour permettre de l’afficher physiquement, superviser les arrangements liés à l’emballage et l’expédition, ou autre travail de préparation selon une entente mutuelle préalable.
5 Il s’agit du temps passé dans l’institution pour superviser l’accrochage de l’exposition.